Identité nationale


Que les bonnes âmes hurlent ou pas ne changera rien à l’affaire. Les problématiques dites identitaires travaillent profondément notre grand corps malade, la France, et notre vieux continent.
Quel méchant mot que celui d’identité ! Quel méchant mot que celui-ci qui sonne comme une insulte aux oreilles de celles et ceux qui ont fait profession d’être mouvement, devenir, voyage, liberté sans autre attache que leur volonté propre !
Et pourtant... plus les forces du marché dissolvent la culture, les valeurs, le sacré d’ici ou de là-bas, plus elles répandent le lisier inodorant de leur idéologie individualiste et plus le méchant réel remonte, tourbe mélangée, protéiforme, régressive et progressiste, Janus électoral.
Nous pouvons crier tout à la fois à la victoire, à la réussite, au danger fasciste, à je ne sais quoi d’autre. Le réel vivant est toujours là après les cris. Et par des formes diverses notre communauté nationale exprime son vouloir-vivre collectif, sa volonté de souveraineté, sa volonté de vivre-ensemble, expression qui n’est que qu’un synonyme émasculé de la nation. En régime économique libéral, la liberté n’est que la contraction de la liberté de consommer et de se vendre.
C’est dans la solitude face à la précarité ou à la marchandise qu’est forgée notre liberté présente. Nous sommes libres de voyager de capitale mondialisée en capitale mondialisée, libres de voyager dans des espaces qui, culturellement, sont ceux du libéralisme économique. Ce cycle est désormais consommé. Que nous éprouvions de la peur ou du chagrin ne changera rien. Pour mal paraphraser Régis Debray, ayant éprouvé que la soi-disant disparition des frontières conduisait au redoublement dans l’ordre libéral des guerres de frontières, de l’enfermement individuel, de la résurgence des
chauvinismes. Alors, il faut se rendre à l’évidence que la vie collective n’est pas juste le résultat de l’addition des comportements des acteurs individuels, elle est en propre une question politique.
C’est la fin des terroristes du mouvement qui à l’évocation du mot identité sortaient leurs fusils à bienpensance.
Oui, notre vie collective est politique, c’est-à-dire à la fois bien sûr produit de la société et produit de la sphère relativement autonome des formes de délibérations collectives.
Faut-il s’en réjouir ? Bien sûr, et plutôt deux fois qu’une. C’est la culture qui est de retour ! C’est les valeurs ! C’est la capacité de la politique de s’incarner dans des choix de société et non plus simplement dans la bonne gestion des paramètres économiques. Pour le pays qui se flatte d’avoir inventé laïcité et République, Lumières et Révolution française, quelle bonne nouvelle que ce retour du devenir humain sur la place publique.
Mais j’en conviens, cette bonne nouvelle est un optimisme de la volonté et après son annonce, que de viles questions nous aurons à traiter : industrie, travail, souveraineté, question nationale, rôle de l’école de la République, articulation avec les questions européennes et mondiales... Que de vilaines remises en cause sont à prévoir pour les idéologues de l’instant présent, des libéraux-libertaires tapis au fond des draps chauds de leur loft si bien aménagé...
Dommage pour eux. Les inactuels sont de retour.

Patrice Bessac,
Edito de « La Revue du Projet », n 17, mai 2012

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