Ubérisation contre économie collaborative

Ubérisation contre économie collaborative

Numérisation vs. Ubérisation


Valeur fétiche d'Emmanuel Macron, l'économie collaborative est un des aspects que recouvre la numérisation de l'économie. Celle-ci, souvent présentée comme irrésistible, se confond souvent dans le discours public avec l'ubérisation, qui s'apparente plutôt quant à elle à un changement profond du statut du travailleur.

La numérisation s'effectue par deux vecteurs :

  •  Numérisation accélérée des entreprises déjà existantes (par exemple, remplacement progressif des services après-vente en magasin ou en centre d'appels par des espaces clients sur internet).


  •  Mais aussi et surtout apparition de formes inédites de la nouvelle économie, parmi lesquelles les plates-formes et les modèles collaboratifs. C'est dans le cadre de ces nouvelles formes, aux caractéristiques communes (fonctionnement fondé sur l'utilisation d'outils numériques, désintermédiation...) que l'ubérisation est apparue comme le modèle dominant, avec une constante sociale majeure : les travailleurs ayant un statut de salarié, assorti d'une garantie via leur contrat de travail, et versant des cotisations à la Sécurité Sociale sont remplacés par des travailleurs indépendants mais le plus souvent très pauvres.


Pourtant, on le verra, d'autres utilisations de cette évolution numérique sont possibles.

On ne peut réfléchir à cette question sous l'angle uniquement technique, à travers des poncifs sur lecaractère irrésistible du progrès technique ou des nouveaux outils de communication et d'échange (plateformes numériques...). Comme tout progrès technique, la numérisation pose forcément la question de son utilité sociale. Notre réflexion vise donc à voir en quoi l'ubérisation est un recul pour la condition des salariés aujourd'hui, alors que la numérisation pourrait être utilisée pour travailler autrement et mieux vivre.

L'ubérisation : une mauvaise réponse à la stagnation durable du pouvoir d'achat


Tout d'abord, la crise de confiance qui a atteint les entreprises et les banques mène à une stagnation de l'économie (en Europe et jusqu'à une date récente aux Etats-Unis) ; pour y remédier, les secteurs dynamiques du capitalisme investissent des formes qui doivent garantir de plus en plus de bénéfices en ayant de moins en moins besoin de salariés, attachés à l'entreprise, liés à elle par un contrat de travail à durée indéterminée et pouvant faire valoir des droits en cas de rupture de ce contrat. À ce titre, Uber est un modèle fondé sur l'externalisation et l'emploi précaire là où le salariat est la règle, et se nourrit du travail indépendant mais pauvre. (Alternatives Economiques note dans son numéro de janvier 2016 que les travailleurs indépendants sont trois fois plus victimes de la pauvreté laborieuse que les autres salariés).

Par ailleurs, confronté aux exigences des salariés harassés depuis des années par la stagnation voire la baisse du pouvoir d'achat, Sarkozy avait choisi d'agir en faveur de la baisse des coûts et des prix pour éviter absolument de devoir consentir des augmentations de salaires. Ce tournant du lowcost (bas coûts) a été réalisé sur le dos des producteurs : la baisse des coûts, c'est d'abord la pression sur les salaires ou sur les revenus des travailleurs indépendants. Par exemple, face à l'exigence d'une alimentation de meilleure qualité, le gouvernement est intervenu pour réduire les tarifs des produits bio, remplaçant la lutte pour la revalorisation des revenus des consommateurs et producteurs par une «défense» du pouvoir d'achat. Mais cette intervention n'a pas accru le pouvoir d'achat, elle a en revanche accru la paupérisation des petits producteurs agricoles. L'action du gouvernement Hollande (via Macron) s'est inscrite dans la continuité de cette politique.

Par conséquent, confrontés à une stagnation de l'économie et des salaires, il est parfaitement logique dans un tel contexte économique que de nombreux salariés aient cherché à accroître leurs revenus. L'activité collaborative (de type Uber ou Airbnb dans un autre registre) a pu apparaître comme une solution de court terme pour des salariés confrontés au chômage de longue durée, mais ce modèle est loin de permettre d'en vivre, et encore moins de garantir une visibilité de long terme.

Demain, tous Uberisés?



Il s'agit d'un choix politique enfin. Pousser des chômeurs à se mettre à leur compte (dans l'exemple d'Uber) est très rentable politiquement, puisque cela permet d'afficher une réduction du nombre de chômeurs. Pourtant, comme le montre Alternatives Economiques, ce changement de statut se fait sans évolution de revenu notable. 

On voit bien que ce qui est appelé Ubérisation dans le grand public est en réalité une nouvelle étape du capitalisme, reposant sur l'écart entre un nombre infime de salariés et une masse d'utilisateurs qui produisent eux-mêmes la valeur qui est ensuite captée par la plate-forme. C'est une nouvelle forme de concentration des richesses, qui se réalise dans l'horizontalité et la désintermédiation, caractéristique partagée avec l'économique numérique, mais dans le but de générer du profit qui sera capté par quelques uns. Une autre forme de captage des richesses, mais moins verticale, plus éloignée des lieux de décision. On est très loin du modèle coopératif.

D'autres pistes pour une économie collaborative utile au plus grand nombre


Pourtant, comme le note Julien Cantoni, cofondateur de l'agence Spuntera, «aujourd'hui, la mise en commun produit de la connaissance partagée pouvant être utilisée localement avec les justes ressources pour satisfaire le juste besoin». 

Face à la vision Uber, un coopérativisme ouvert de plate-forme permet de générer de nouvelles formes de solidarité, de production, et de consommation en premier lieu. À l'origine, Blablacar était un site de covoiturage voisinant avec d'autres sites, gratuits et collaboratifs ; Open Food Network, au service de l'autonomie alimentaire locale, pourrait permettre de rapprocher producteurs agricoles locaux et consommateurs en créant un nouveau lien de solidarité qui évite les captations de la grande distribution.

D'autres pistes d'action sont possibles : l'UGICT-CGT propose de taxer les utilisations commerciales de données informatiques et de les affecter au financement de la protection sociale. 

Le contre-projet de loi Travail des frondeurs socialistes propose de requalifier les travailleurs indépendants en salariés des plate-forme numériques...

Rien n'oblige aujourd'hui, ni techniquement, ni politiquement, à accroître ce mouvement de dérégulation et de paupérisation des travailleurs né de l'évolution de l'économie collaborative. Au contraire, la numérisation peut être un formidable outil pour continuer la baisse du temps de travail, permettre de réduire les déplacements travail-logement, créer du lien social entre différents groupes sociaux.